Isabelle Kocher : Pour en finir avec le paradoxe de l’accès à l’énergie
08/10/2018Actualité
Article publié sur LinkedIn, le 26 septembre 2018
Si cette dernière exige que nous parvenions à maîtriser la demande énergétique mondiale et à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES), l’accès universel à l’énergie pourrait, au contraire, conduire à une explosion de la demande énergétique et à une augmentation catastrophique des émissions de GES.
Devons-nous choisir entre protection de l’environnement et volonté légitime de parvenir à la justice sociale et à des conditions de vie décentes dans les pays émergents et en développement ?
Au nom de la protection de la nature, devons-nous laisser des milliards de personnes dans une situation de pauvreté et de sous-développement ? Un tel discours est à la fois faux et nuisible.
Plus d’un milliard de personnes sur notre planète n’ont pas accès à l’électricité. 2,3 milliards de personnes n’ont pas accès à des moyens de cuisson non polluants. L’énergie moderne n’est pas une marchandise comme les autres. C’est le tremplin vers le progrès humain et économique. Sans énergie, la santé, l’éducation, la sécurité alimentaire, le développement économique, la mobilité et l’emploi ne peuvent être pleinement mis en œuvre. En effet, chaque année, 2,8 millions de personnes meurent de la seule pollution de l’air intérieur – la plupart en Afrique et en Asie – simplement causée par la cuisson des aliments ou un chauffage au charbon ou au kérosène.
Les populations de ces régions sont également affectées de façon disproportionnée par les effets du changement climatique. L’érosion côtière, les tempêtes, les sécheresses et les inondations obligent les gens à abandonner leurs foyers et même leurs pays.
Et tout cela se produit au moment-même où les énergies renouvelables sont en train de devenir la source la moins chère pour les nouvelles infrastructures énergétiques et où de nouvelles méthodes de production telles que le solaire photovoltaïque se prêtent à des réseaux extrêmement décentralisés.
En 2008, le tarif de rachat pour l’électricité d’origine solaire était de 700 euros par mégawattheure (MWh). En août 2016, le tarif de rachat avait chuté à 30 Euros par MWh au Chili, soit le coût le plus faible jamais enregistré pour cette source d’énergie.
Les systèmes décentralisés ont démontré leur capacité à fournir de l’électricité fiable dans les régions isolées, à un coût inférieur à celui des solutions diesel. ENGIE a franchi une étape décisive dans le marché du solaire domestique en Afrique avec l’acquisition de Fenix International, une société basée en Ouganda. Fenix fournit de l’électricité à plus de 250 000 foyers en Ouganda grâce aux kits solaires vendus en partenariat avec le fournisseur de réseau mobile MTN.
Des réseaux distribués, à faible coût, devraient naturellement conduire à une solution permettant d’améliorer la disponibilité de l’électricité dans les régions qui ont le plus besoin d’énergie. Pourtant cela n’a pas été le cas. Pourquoi ?
C’est ce que j’appelle le paradoxe de l’accès à l’énergie : la technologie qui devrait rendre la production d’énergie accessible à tous n’a pas encore été généralisée de façon à répondre pleinement aux besoins énergétiques. Les conditions du marché l’empêchent de se développer au rythme qui est nécessaire – en particulier dans les pays en développement. Le rendement est souvent trop faible pour l’investisseur, qui est confronté à un risque d’investissement élevé, mais le prix est souvent trop élevé pour l’utilisateur local dans ces régions.
Les approches traditionnelles de production et de distribution de l’énergie se sont généralement appuyées sur des installations de production d’énergie coûteuses et de grande taille permettant des économies d’échelle qui garantissent la rentabilité de la production. Ce sont précisément ces caractéristiques qui font que ces projets, une fois approuvés, mobilisent les pouvoirs publics aux plus hauts niveaux ; le cadre réglementaire et les process sont immédiatement clarifiés.
En revanche, les technologies photovoltaïques/solaires ou éoliennes peuvent fournir de l’électricité à moindre coût à de petites communautés isolées sans recourir à de coûteux réseaux de distribution. Les investisseurs et les prêteurs dans ces secteurs doivent souvent assurer le suivi de nombreux petits projets et comprendre les particularités de chacune de ces administrations locales. Tout simplement, ces investissements deviennent souvent trop complexes et parfois, trop risqués, pour être réalisés actuellement. Nous tous, parties prenantes, privées et publiques, devons aider à réorienter le marché et à trouver des solutions si nous voulons résoudre le problème mondial de l’accès à l’énergie.
C’est précisément le but de Terrawatt Initiative, créé en 2015 à la COP21 par ENGIE, et plusieurs autres entreprises.
La réorientation des forces du marché nécessite l’harmonisation des principaux leviers économiques : les gouvernements, les développeurs d’infrastructures (locaux et internationaux), les institutions internationales pour le développement et les investisseurs privés.
Si l’on veut accélérer la mise en place de technologies énergétiques non polluantes, toutes ces institutions doivent travailler de concert. En créant des cadres réglementaires communs, les pays peuvent regrouper leurs demandes d’infrastructures. Ensemble, dans le respect de règles communes et d’accords standard, les projets d’infrastructures renouvelables peuvent être évalués et financés.
Ce mouvement a démarré avec un premier groupe de six pays africains, le Bénin, le Burkina Faso, le Gabon, le Mali, le Niger et le Togo, qui ont lancé ce mois-ci une initiative visant à concevoir un cadre réglementaire pour l’énergie solaire, partagé par tous les pays volontaires.
Les institutions internationales pour le développement peuvent également utiliser leurs fonds pour réduire les risques grâce à des garanties. Des instruments de garantie de ce type peuvent aider à attirer des capitaux d’investissement en réduisant les risques. Avec 9 milliards de dollars au niveau mondial bloqués dans des véhicules d’investissement à rendement nul ou négatif, ces projets élargissent l’accès à l’énergie pour fournir des investissements à la fois économiquement viables et socialement responsables.
Dans le cadre de l’initiative Terrawatt, nous travaillons à créer ce nouvel écosystème en abordant simultanément tous ces aspects.
En travaillant ensemble, les leaders et les organisations mondiales présentes à New York au cours de cette semaine du climat peuvent accélérer les politiques, les solutions, les modèles d’entreprise et le développement nécessaires pour relever ce défi mondial. Nous pouvons AGIR ENSEMBLE pour y parvenir.