Décarbonation: le mythe du «tout électrique»

09/02/2021

Actualité

Décarbonation: le mythe du « tout électrique »

On aimerait pouvoir croire que le « tout électrique » permettra de répondre au défi de la décarbonation en France. Mais la fée électricité a cassé sa baguette magique. L’électricité en France émet beaucoup plus de carbone qu’on ne l’imagine. Aussi, on croit souvent qu’il suffirait d’électrifier tous les usages énergétiques pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. Pour séduisante qu’elle soit, cette idée repose hélas sur deux erreurs de jugement.

La première, c’est que l’électricité en France est loin d’être décarbonée. L’exemple le plus frappant est celui du chauffage électrique, dont les émissions atteignent 147 grammes de CO2 par kilowattheure (kWh), presque trois fois supérieures à la moyenne ! La raison en est simple : le besoin de chauffage n’est pas constant, ni sur l’année ni sur la journée, et fait donc appel à des moyens de production spécifiques aux heures de pointe, en France, voire à l’étranger, qui sont très largement thermiques et donc bien plus carbonés que les énergies renouvelables.

La deuxième erreur, c’est que l’électricité n’est pas capable de répondre à tous les besoins énergétiques. L’électricité produite en France ne représente qu’un quart de nos consommations d’énergie. Et pourtant, notre système électrique est déjà fragile, comme le souligne RTE, en annonçant de probables coupures de courant en plein cœur de cet hiver. Les fragilités du système électrique ne seront que plus criantes à mesure qu’il devra supporter de nouvelles demandes.

Nous entrons dans une période d’incertitude en matière de sécurité de notre approvisionnement électrique, tant en raison de la disponibilité de nos propres centrales que de la fermeture par nos voisins de 15 % du parc européen pilotable d’ici à 2030. Les orientations de la réglementation environnementale pour les bâtiments neufs (RE2020) vont amplifier la pointe hivernale et détériorer le bilan carbone du pays par le développement du chauffage électrique, même avec les pompes à chaleur car leurs performances se détériorent nettement quand les températures baissent.

La loi de transition énergétique (2015) a entériné la réduction de notre dépendance au nucléaire, de toute façon inadapté et trop coûteux pour répondre à des besoins flexibles et à des contraintes climatiques. Les énergies fossiles, qui offraient un pilotage aisé de l’offre, ne peuvent être remplacées par l’électricité seule. Les électricités renouvelables ont en revanche vocation à se développer fortement. Elles contribueront, avec le développement du stockage et la mutualisation des productions, à la nécessaire décarbonation. Ce qui est certain, c’est que tout ce qui concourt au pic de demande électrique doit être évité pour sortir de l’actuelle fragilité française.

La première étape de toute stratégie de décarbonation doit reposer sur les économies d’énergie, avec une réduction ambitieuse de notre consommation de plus de 20 % d’ici à 2030 et de 50 % d’ici à 2050. La deuxième étape doit être de valoriser l’ensemble des sources renouvelables : le solaire thermique, la géothermie, le biogaz, le bois, le photovoltaïque, l’éolien, les énergies marines renouvelables, etc. Disponibles à proximité immédiate du besoin, elles s’adaptent à l’individuel comme au collectif, au résidentiel comme au tertiaire, et sollicitent beaucoup moins les grands réseaux énergétiques. Economies d’énergie et énergies renouvelables de proximité présentent en outre un coût significativement inférieur à toute alternative composée exclusivement d’électricité et de batteries. Un mix multi-énergie permettrait ainsi d’économiser de l’ordre de 50 % sur le coût de la décarbonation complète du système énergétique, soit 100 milliards d’euros pour les Français !

Il est encore temps de diversifier les options énergétiques du pays. Surtout quand cette diversification permet une décarbonation effective, créatrice d’emplois et de débouchés industriels et qu’elle est soutenable pour le pouvoir d’achat des citoyens et la compétitivité des entreprises

Les crises actuelles doivent être l’occasion de créer de nouvelles filières dans les territoires, génératrices d’emplois et cohérentes avec une transition énergétique vers le 100 % renouvelable.

©️ Les Echos – Par Jean-Pierre Clamadieu (président d’Engie), Arnaud Schwartz (président de France Nature Environnement)